Agadir: tremblement de terre du 29 février 1960

Le témoignage de François Granger

Suite à mon séjour à Agadir le 29 février 2000, j’écris ce témoignage pour le quarantenaire du séisme, car cet anniversaire aura été pour moi la compréhension de la décision de quitter Agadir que mes parents avaient prise.

Il y avait eu quelques secousses telluriques dans les jours précédents, cependant les souvenirs du séisme commencent, pour moi, le soir du 29 février, lorsque mon frère ainé (prémonition?) dit au souper qu'il faudrait partir, car il avait peur d'une secousse plus forte. Nos parents ayant répondu "on n'est pas au Japon", rassurés, nous nous sommes couchés. Je dormais à poings fermés lorsque mon frère aîné essaya de me réveiller dans le noir, avec force claques et coup de poing!

À Casa, j’allais régulièrement au Maârif voir 1 de mes amis qui avait perdu son père et son frère aîné, José. Salvador Amançio, réfugié avec sa famille dans cette grande salle (un gymnase?) où des centaines de personnes s’entassaient.
J’ai revécu cette vision en France en 1961, lorsque les réfugiés d’Algérie s’entassèrent dans les dortoirs de la colonie de vacances qui nous servait d’école à Sète…
J’ai revécu encore cette vision lors de la crise du verglas au Québec, en 1998, lorsque les réfugiés des alentours se sont entassés dans l’école de St Bruno de Montarville…
Et pourtant, lors des secousses telluriques de 60 et 61 à Casa, alors que toute la population se retrouvait dans la rue, je ne me suis pas affolé, pas plus qu'à Montréal et à Ottawa, lors des secousses des années 80 et 90.

Ce quarantième anniversaire aura été pour moi la compréhension de la décision de quitter Agadir que mes parents avaient prise, que je leur ai reprochée pendant 40 ans: "pourquoi avoir quitté Agadir?"
La raison qu’ils invoquaient "pour qu’on oublie", n’ayant jamais pu me satisfaire pendant 40 ans! Puisque je n'ai pu oublier les clameurs de Founti, ni le tas de gravât qu'était devenue la maison où je suis né, l'ancienne Recette des douanes, sur le port.
Le jour de mon départ pour Agadir le 26 février 2000, je reçois une lettre d’un ancien gadiri qui avait quitté la ville quelque temps avant le séisme. Dans cette lettre étaient annexées les copies des lettres que ma mère avait écrites à ses parents (décédés depuis) dans les jours ou mois qui ont suivi la catastrophe. Ces lettres d’outre-tombe (mes parents sont maintenant décédés) ont permis ma réconciliation avec la décision de mes parents.

2 lettres d’outre-tombe: 28 mars 1960 et 27 octobre 1960.
Casablanca, 28 mars 1960.
"Nous sommes tous sains et saufs et notre appartement est l’un de ceux qui ont le mieux tenu. Même la soucoupe est restée debout bien que plus atteinte que l’immeuble à côté. Mais quand on voit le malheureux port et ses trous et ses crevasses avec des dénivellations de 50cm à 1 m, ses grues tordues, ses quais affaissés, nous pouvons crier au miracle. Notre ancien logement n’est que ruine, nos anciens voisins tués ou blessés.
... Tous couchent à Inezgane sous des tentes car les secousses continuent. …..depuis les premiers jours, rien n’a été déblayé, sauf Yachech passé aux bulldozers."
27 octobre 1960
"…. L’Administration voudrait nous reloger là-bas…. Personne ne veut aller y habiter...... A cause des écoles, il nous est impossible d’y retourner (ndfG: sur le port). Et puis, quelle vie serait la nôtre? Founti est rasée et ne sera pas reconstruite. … Taldborjt est en partie nettoyé, ce ne sera pas reconstruit. Nos plus proches voisins seraient l’usine électrique à 4 km...."

Et celle d’un inconnu (qui est arrivé à Agadir le mardi 1er mars à 15h) aux parents de cet ami:
7 mars 1960 (donc 7 jours après le séisme)
"… Les quartiers de Founti, Talbordjt et Yachech sont entièrement détruits. …."

……. Voici plus d'un an que j'ai commencé ce témoignage et il m'est toujours aussi difficile de décrire ce que furent pour moi ces années pendant lesquelles j'ai toujours voulu revenir à Agadir, mais j'ai toujours eu peur de revenir; ces années pendant lesquelles je passais ma nuit du 29 février au 1er mars à prier. Ces années pendant lesquelles j'aurais voulu savoir ce que sont devenus mes amis d'enfance, mes compagnons de classe…..
Je suis revenu une fois pour le 29 février 1980, j'ai passé une semaine à Agadir dans le petit hôtel adossé au plateau de Talbordjt. Mis à part Sidi Mohamed, l'ancien employé de mon père, qui m'avait fait sauter sur ses genoux lorsque j'étais petit, il m'a semblé que personne ne se souvenait, ou ne voulait se souvenir, que cette nuit-là, 20 ans auparavant…. J'ai passé la nuit du 29 février au 1er mars 1980 à arpenter le plateau de Talbordjt. Vaste cimetière sans aucune pierre tombale, où ça et là apparaissaient quelques dallages ou quelques escaliers montant vers nulle part, vaste cimetière où ce qui fut ne sera jamais plus, où ceux qui furent dorment pour toujours!

François Granger
Montréal - Ottawa, Canada
courriel:

Merci de garder une minute de silence,
le 29 février 23h40 GMT (TU).
Votre silence, JE L'AI VU,
là où ce qui fut, ne sera jamais plus,
là où ceux qui furent, dorment pour toujours!

P.S.: Je remercie Philippe et Pierre Gaucher de nous permettre de nous recueillir sur la tombe de notre mémoire et de penser à nos amis restés ensevelis.

Ce texte a été écrit dans les jours qui ont suivi le 29 février 2000, comme un exutoire du syndrome post-traumatique ou "syndrome du survivant", catharsis de la même veine que d’assister aux commémorations du quarantenaire dans les cimetières des différentes religions du Livre. Exutoire pour tous ceux qui ont vécu ces moments terribles, et il doit être lu ainsi!