Agadir: tremblement de terre du 29 février 1960

Le témoignage d'Olivier Farrié

Souvenirs de la dernière nuit de Février 1960

Par Olivier Farrié

 

Cette nuit là était veille de carnaval à l’école et j’étais excité à l’idée de me déguiser en diable! Les parents étaient sortis dîner chez des amis, près de chez nous. Mon père était Médecin chef de l’hôpital et de la Province d’Agadir et nous étions logés à ce titre dans une villa dans l’enceinte de l’hôpital.

Mon frère aîné JP essayait des maquillages pour les déguisements du lendemain devant la glace de la salle de bain,.. Il n’était pas loin de minuit lorsque je fus réveillé en sursaut par des gravats qui me tombaient sur la figure alors même que je sentis la main de mon frère JP me traînant hors de mon lit, tenant mon petit frère Nicolas par l’autre main « Vite c’est un tremblement de terre ».

Nous nous précipitons vers la porte du couloir qui menait à la porte d’entrée. Le sol était jonché de débris de plâtre et de ciment, les portes des placards étaient en travers et rendaient la marche difficile, surtout pieds nus. Arrivé devant la porte d’entrée, JP dût dégager l’ouverture et forcer pour ouvrir la porte, entravée par des débris de murs ou de plafond gênant l’ouverture. Nous nous précipitons à l’extérieur où la nuit noire et la poussière nous obligent à longer le mur d’enceinte et sa haie sans que nous y voyions grand-chose, ce qui nous valût quelques égratignures.

Parvenus au portail du jardin qui ouvrait sur la Place de l’hôpital, nous retrouvâmes nos parents, qui nous étreignirent sans que nous ne comprenions vraiment pourquoi. Mon père, nous sachant en sécurité, partit pour l’hôpital, tout proche pour faire évacuer les malades et sauver tout ce qui était possible comme matériel de première urgence. La voiture dans laquelle nous trouvâmes refuge fut garée dans un terrain vague, juste à coté de la villa du Docteur Guillaume, dans la rue qui menait au Talborj. Je n’ai que peu de souvenirs du reste de la nuit, sauf que d’autres voitures vinrent se garer à coté de nous, mais nous avions consigne de ne pas sortir des véhicules. En fin de matinée, mon père nous fit conduire vers les Aït-Bâa, où le dispensaire n’avait que peu souffert du séisme.

Je me souviens par contre du lever du jour : l’environnement était méconnaissable. Le quartier du Talborj durement éprouvé laissait entrevoir dans le jour naissant ses bâtiments à demi-écroulés.

La Place de l’hôpital ressemblait en ce petit matin à une morgue à ciel ouvert, ou les Gadiris amenaient les corps qu’ils venaient de dégager. L’équipe des médecins présents se chargeait alors de les trier : les morts ici, les blessés les plus graves vers les ambulances, ceux qui pouvaient être soignés sur place vers le dispensaire de soins improvisé à même le goudron.

A la fin de la semaine, nous prîmes la direction de Marrakech où nous fumes hébergés jusqu'à la fin de l’année par le Docteur Vigouroux, directeur de l’Hôpital de la Mamounia.

Ce qui suit ne sont plus des souvenirs vécus, mais des souvenirs de conversations de mes parents ou des discussions ultérieures, notamment quand mon père rentrait tard dans la nuit vêtu de sa combinaison blanche qui sentait la mort. Qu’on-t-ils fait pendant ces premières journées, face à une catastrophe pareille, laissant une ville désemparée, déstructurée.

Le gouverneur et les autorités civiles et militaires de l’époque prirent la décision qui s’imposait : L’évacuation de la ville de tous ces habitants, les forces armées royales contrôlaient les entrées et les sorties de la ville et des patrouilles en armes sillonnaient la ville.

Cette évacuation permit d’une part d’éviter toutes tentatives de vol ou de pillage, (bien qu’aux dires de certains quelques exactions eurent lieu, ce qui ne fut jamais confirmé par la suite) et d’autre part de regrouper les populations dans des secteurs ou l’aide alimentaire et sanitaire pouvait être distribuée.

Elle permit aussi aux équipes de recherches de faire correctement leur travail, mais il faut reconnaitre que ce tremblement de terre fit peu de blessés : 15000 morts pour 1500 blessés ; les rescapés dans leur grande majorité étaient soit indemnes soit légèrement atteints. Tous furent évacués soit par voie aérienne via La Base Aéronavale soit par voie terrestre par des ambulances qui affluèrent de toutes les villes du Maroc, notamment Marrakech et Casablanca.

Je vous livre ci-dessous un article paru dans le Maroc Médical, qui avait demandé à mon père le Docteur Farrié en collaboration avec le docteur Guillaume, d’écrire les souvenirs des premiers instants après la secousse.

Maroc Médical, n°429 de février 1961.

Souvenirs

Par G. Farrié Médecin-directeur de l’Hôpital et de la Province d’Agadir

Et L. Guillaume Médecin-chef des Services d’Hygiène et de la protection sociale de la Province d’Agadir.

11h 50 .. Un grondement sortit des profondeurs de la terre, sonorité irréelle, bruit nouveau pour notre oreille humaine, mouvements inconnus de notre physiologie et égarant notre équilibre.

Troubles physiologiques profonds, désarroi de notre oreille interne, de nos sens, de tout organe... peur physiologique intense, sont mes souvenirs toujours présents du séisme d’Agadir.

Couverts de plâtre et surgis de nos fragiles constructions d’hommes combien sommes-nous vivants et indemnes ? Ma femme, mes enfants, mon univers premier est là autour de moi. L’esprit se libère de la gangue de peur et je raisonne, conscient ou peut-être à demi conscient.

Quelques brèves minutes sont passées…

Je suis debout dans la cour de l’hôpital. Nuit d’encre, une immense clameur, sortie de milliers de corps écrasés, s’éteint pour faire place à un silence terrible. La ville ne vit plus, mutilée à mort en 15 secondes, mais des vies persistent et je sens immédiatement que dans l’immense lutte qui va s’engager, nous serons les premiers appelés. Que nous reste-t-il ?

Un à un les infirmiers de garde surgissent de l’obscurité : l’Hôpital a tenu… et la conscience de la responsabilité surgit tout à coup.

Que fait-on Monsieur ?... Est-ce que je dois… Si on faisait ?... Dix, vingt, une foule de questions me sont posées du fond de la nuit.

« Sortez tout ce que vous pouvez, seringues, ampoules, bandes ; prenez un brancard, une brouette et amenez tout sur la place devant l’Hôpital ». Tous les présents courent à la récupération de matériel de travail, mais il faudra souvent enfoncer des portes coincées pour y parvenir.

Pendant que le personnel s’affaire, faisant preuve d’une discipline et d’un courage admirable, je regarde l’Hôpital. Oui, il a tenu mais combien de temps tiendra-t-il ? 456 malades sont dans des lits, il faut les évacuer d’urgence.

L’Hôpital risque de s’écrouler, il faut sortir tout le monde et très vite. On se précipite. Il est minuit quinze peut-être : mes confrères sont venus, les religieuses, le personnel arrive répondant à leur devoir, et c’est la course dans les étages : sortir les malades, brancarder dans les escaliers disloqués, en pleine nuit.

Le troisième étage est évacué. Les 35 accouchées et les nourrissons sont dans l’herbe devant les grilles. Puis les autres étages et enfin il ne reste plus qu’une malade, un coma terminal qu’il faut transporter inerte : un groupe arrive avec un drap pour y aller.

A ce moment je regarde l’Hôpital … et dans un murmure, comme un grand souffle sur un groupe d’arbres, je vois les étages s’affaisser. Un amas de ruines apparait au travers d’un nuage de poussière qui s’étend autour de nous.

Une page est tournée. J’interdis tout accès dans les bâtiments encore debout. Il faut des vivants pour soigner les blessés.

Car c’est par camion et par voitures qu’arrivent les premiers blessés et la place de l’hôpital se tapisse de corps allongés.

Nous faisons un bilan rapide : quelques pansements, des désinfectants, quelques tonicardiaques, de la morphine. Nous avons cela. Et le travail commença…

Il devait durer jusqu’au lever du jour, travail hallucinant à la lueur des phares d’une 2cv, sans eau avec nos mains presque vides à offrir aux blessés.

Dès la vue rapide de l’état de l’Hôpital, la notion d’évacuation s’imposa immédiatement.

On se préoccupa dès la première heure de ce problème : les autobus de la ville, l’Armée Royale mirent des véhicules à notre disposition. Le Commandant de la Base Aéronavale vint m’informer que ses véhicules s’occupaient de la ville et qu’il allait essayer d’organiser un pont aérien. Une équipe se chargea d’arracher boiseries et volets pour improviser des attelles.

Les blessés affluaient et on organisa un poste de secours : Inspection des blessés, tonicardiaque et analeptiques, fiche avec nom si possible et injections faites, mention d’extrême urgence notée visiblement. Pansements sommaires, immobilisation sur volet ou tout objet adéquat etc.. Rangement à notre gauche par ordre d’urgence. Au fur et à mesure de la venue d’un véhicule nous chargions les blessés.

A droite nous rangions les morts et c’est 350 cadavres que nous devions compter au lever du jour.

De multiples problèmes se posèrent au cour de cette nuit.

Il fallut trouver de l’eau et ce furent les pompiers qui nous amenèrent un camion vers trois heures.

Les camions et les véhicules d’évacuation n’avaient pas d’essence. Ce furent les Forces Armées Royales qui nous permirent de nous servir librement à leur pompe restée intacte, les deux ou trois pompes privées refusant de livrer gratis tout au moins aux premières heures.

Vers une heure, une femme vint accoucher, accouchement normal heureusement. Certains nourrissons devaient avoir leurs biberons dans la nuit, les malades graves devaient continuer à être soignés car la vie de l’Hôpital continuait sur l’herbe.

Un groupe fut donc constituer pour les hospitalisés, un autre pour les soins aux blessés, un autre au tri et à l’embarquement des blessés, un autre à la récupération prudente de médicaments dans les ruines de l’Hôpital.

A ce propos un incident est à signaler : un de nos confrères parti avec une lampe à pétrole vers le bloc opératoire, s’arrêta et s’en éloigna rapidement, une odeur ayant attiré heureusement son attention : l’oxygène, le propane fuyait à pleins tuyaux des centrales de gaz. Quelques pas de plus de notre confrère auraient provoqué une explosion et un incendie qui auraient terriblement aggravé notre situation.

La nuit fut longue, dans un isolement qui nous semblait total.

Les médecins de Taroudant et de Tiznit, les premiers accourus, étaient repartis immédiatement pour organiser la réception des blessés : on avait en effet décidé d’adresser à la Base Aéronavale les blessés très graves pour évacuation par avion. Les cars de la ville mis à notre disposition ainsi que les véhicules de l’Armée Royale assurèrent toute la nuit les navettes entre Agadir, la Base, Tiznit et Taroudant où étaient envoyés les blessés moins gaves.

Au lever du jour, presque tous les blessés étaient évacués et, à neuf heures du matin il n’y avait plus de nouveaux arrivés. Dès ce moment le problème des blessés était pratiquement terminé : en effet, les blessés dégagés dans les ruines neuf heures après étaient soit légers, soit d’une telle gravité que ces derniers étaient évacués immédiatement avec une chance très minime de survie.

Les victimes dégagées à partir de ce moment étaient la plus-part quasi indemnes ou n’ayant pas de blessures ouvertes : des fractures simples et multiples furent dégagées tout au long de cette journée du mardi.

L’angoissante question des survivants se posait. Déjà au lever du jour on pouvait voir ce spectacle, paraissant ridicule, de notre Econome (Mr. Soussi) assis sur la pelouse et payant le personnel présent. Cet Administrateur a eu la réaction logique et saine qui ne nous avait pas effleuré au cours de notre labeur nocturne : qu’allions nous manger aujourd’hui et les lendemains ? Sans vivres, Sans vêtement (la plupart d’entre nous était en pyjama et blouse) sans argent, démunis de tout, hirsutes et souillés de gravats.

La réserve de l’Hôpital fut vite épuisée au matin après avoir nourri les blessés, les malades et les sauveteurs.

Ce fut ce problème qui domina la journée de mardi : les sauveteurs arrivaient et avaient tous oublié une chose : ce n’est pas à une ville sinistrée totale qu’il faut demander des vivres et un hébergement, et je me souviens avoir passé les trois jours après le sinistre à essayer de vêtir les sauveteurs en blouses et en combinaisons, de les nourrir et de les coucher. L’élan de solidarité était magnifique, mais combien avons-nous vu d’avions débarquant des sauveteurs en costume de ville s’enquérant de savoir s’il y avait un bureau de tabac sur la route de la Base d’Agadir. Leur réaction était normale et tous ces hommes durent se contenter de rien, car ils venaient pour se désavouer et c’est ce qu’ils firent.

Mais il faut retenir comme un précieux enseignement qu’en cas de catastrophe semblable, seule une troupe organisée avec ses arrières et réserves peut faire face à la situation. Agadir a eu l’heureuse présence d’une base militaire bien équipée sinon que serait-il advenu de ces sauveteurs sans cet organisme. Travailler au secours des victimes est une besogne très pénible et le secouriste doit pouvoir conserver au maximum sa capacité physiologique et morale pour maintenir son action.

Des milliers de survivants (2 habitants sur 3 étant rescapés) s’amassaient dans les environs immédiats ; les réserves alimentaires étaient détruites, les cadavres commençaient à poser un très urgent problème de sépulture, l’épidémie pouvait surgir à tout instant, l’eau manquait ou était polluée. Des enfants erraient cherchant leurs parents, des parents cherchant leur famille, un désordre sans précédent pouvait s’installer.

Telles étaient les données du problème à résoudre en cette matinée du mercredi 2 mars 1960.

Ce déplacement massif de population et leur recasement individuel et précaire dans une zone à forte densité de population présentait un danger épidémiologique certain, alors que l’infrastructure organique de ce secteur n’était plus représentée que par le seul dispensaire d’Inezgane. Il était urgent de parer à ce danger, tout en l’intégrant dans le contexte social et humain qui devait être résolu en même temps que lui. Ce fut l’origine des camps de recasement dont la gestion fut confiée pour simplifier les données matérielles à l’Armée Royale.

Dès le 7 mars, les sinistrés disséminés sur la périphérie d’Agadir étaient dirigés sur les camps n°1 (Aït Melloul) et Camp n°2 (Timersit) puis le 12 mars sur les camps d’Anza où dès leur entrée, le service social établissait un dossier permettant un premier recensement des survivants et les premières recherches des disparus. Le bureau Municipal d’hygiène de campagne assurait l’épouillage individuel, tandis qu’une antenne médicale procédait aux vaccinations antivariolique et TABDT ; des tentes et du matériel de couchage leur étaient attribués, des rations alimentaires distribuées toutes préparées.

La surveillance sanitaire et médicale des populations ainsi regroupées fut confiée à des « infirmeries antennes » sous tentes, installées à l’intérieur même des camps et prenant en charge aussi bien les soins courants que les évacuations des urgences, la création d’une infrastructure sanitaire élémentaire que les désinfections ou désinsectisations nécessaire. Le montage d’une station d’épuration d’eau au camp n°1 et d’un réseau de distribution au camp n°2 permettait avec un appoint de citernes mobiles d’assurer les besoins en eau de la population sous tentes.

Parallèlement à ce regroupement, un bureau Municipal d’hygiène mobile assurait la protection des populations autochtones du Caïdat d’Inezgane, en effectuant des épouillages individuels ou collectifs ; des vaccinations de masse et un contrôle bactériologique journalier des eaux de boisson, aussi bien au niveau de la nappe phréatique qu’au niveau des points de distribution. Le dispensaire d’Inezgane étoffé en personnel et en moyen d’évacuation assurait le contrôle médical de ces populations.

Au cours des premières semaines le problème sanitaire fut résolu par des installations de campagne, dispensaires sous tente hôpitaux de croix rouge italien et Militaire Allemand sous tente.

Cependant, dès le début avril, le ministère de la santé dégageait immédiatement des crédits pour construire des installations fixes d’un provisoire pouvant attendre une longue période. Ainsi fut décidé la remise en état du dispensaire d’Anza (rouvert le 20 mars), la construction préfabriquée d’un dispensaire au Aït Melloul (ouvert en août 1960), d’un dispensaire au Quartier industriel 5 ouvert en octobre 1960), d’un hôpital avec un équipement médico-chirurgical techniquement très complet, (ouvert en décembre 1960).

Ainsi 800 m2 couverts de préfabriqués étaient érigés pour les dispensaires, tandis que 1200m2 composant l’Hôpital commençaient à se monter dès mai 1960). Trois mois après la catastrophe, persévérante, la Santé Publique recréait ses installations qui bien que provisoires fonctionnent depuis plusieurs mois déjà mettant à la disposition des populations : 5 médecins, une centaine d’agents paramédicaux, 4 dispensaires et un hôpital de 80 lits, 5 postes de radioscopie, 2 de radiographie, un laboratoire clinique, des sections de protection maternelle et infantile ainsi que tous les services d’hygiène publique.

Ce provisoire s’améliore tous les mois par l’ouverture de nouvelles disciplines et permettra d’attendre la reconstruction d’un Hôpital de 500 lits, dispensaire et centre de santé urbains et services d’hygiène Publique. Près d’un milliard deux cents millions seront nécessaires à cette reconstruction dont huit cents millions pour l’Hôpital. Les plans de ce dernier sont très avancés et les premiers travaux débuteront au début du 2eme semestre 1961.

La reconstruction de l’ensemble du complexe sanitaire et médico-chirurgical de la ville se réalisera entre 1961 et 1963. Les projets retenus et les plans adoptés feront de cet ensemble des réalisations modernes et adaptées tant au pays qu’aux doctrines de Santé Publique actuelles.

Ci-après, je joins un texte de G Ferrand et M Sentici membre du Ministère de la Santé Publique à Rabat.

CONSIDERATIONS SUR LES ASPECTS SANITAIRES DU SEISME D’AGADIR

La catastrophe d’Agadir a comporté sur le plan de la santé publique divers enseignements qu’il convient de mettre en lumière.

La première remarque à faire pour évaluer les conséquences du sinistre est que cette catastrophe contrairement aux autres, en particulier aux bombardements aériens, a fait beaucoup plus de morts que de blessés : probablement 15000 morts contre 1500 blessés. Aussi le premier temps des secours réalisés grâce à la base Aéronavale Française intacte, a-t-il consisté en l’évacuation des blessés.

OPERATION EVACUATION DES BLESSES

Les premiers soins ont été donnés sur place :

-à l’hôpital d’Agadir, par des médecins et chirurgiens locaux de la Santé Publique et de la Base Aéronavale.

-Par un groupe de chirurgiens, envoyés de Rabat, arrivés le matin même du premier mars.

1200 évacuations de blessés ont été faites dans les 24 premières heures et les malades placés dans les hôpitaux de Marrakech, Casablanca, Rabat, Meknès ou des lits avaient été immédiatement libérés.

Il convient de signaler qu’une centaine de blessés ont été évacués par route sur l’hôpital d’Essaouira. Ces blessés provenaient des villages de la périphérie d’Agadir, qui avaient été détruits par le même tremblement de terre.

OPERATION ASSAINISSEMENT DE LA VILLE MORTE.

On s’aperçut vite, dans la fièvre du déblaiement des 24 premières heures, dans certaines parties de la ville détruite, qu’il y avait un amoncellement de cadavres ne pouvant être retirés avant de longs travaux.

Au fur et à mesure des progrès des premiers déblaiements, tous les éléments volontaires et les militaires de toutes nationalités envoyés sur les lieux étaient en contact aves des cadavres au cours de leurs travaux. De plus, au bout du deuxième jour, étant donné la température exceptionnellement chaude, une insoutenable odeur de putréfaction régnait sur la ville détruite.

L’amoncellement de cadavres présentait donc un double danger pour les travailleurs des déblaiements :

Il constituait une nuisance telle qu’elle allait interdire tout travail tant que la putréfaction naturelle ne serait pas accomplie.

Ces cadavres étaient dangereux à manipuler parce que :

-Ils pouvaient être en contact avec des animaux dont les parasites sont vecteurs de maladies épidémiques ;

-Les liquides provenant de la putréfaction des corps étaient susceptibles de polluer la nappe phréatique ou l’adduction d’eau elle-même, des fissures ayant pu se produire dans les canalisations. D’où :

-Danger d’épidémie parmi le personnel du déblaiement et les réfugiés dans les camps ;

-Danger d’accidents individuels de septicémie parmi le personnel du déblaiement et de désinfection.

Les considérations qui précèdent méritent quelques développements :

Qu’on imagine une ville aux trois quarts détruite, sur laquelle règne une odeur pestilentielle, dans une atmosphère de panique ; où l’on a confectionné pour plusieurs milliers de volontaires et de militaires, des masques rudimentaires faits d’un tampon de coton et d’une gaze nouée derrière la tête ; des familles errants à la recherche d’un être humain ou d’un objet dans les ruines ; des animaux domestiques abandonnés, restant sans nourriture près des foyers détruits ; des rats sortant des égouts et circulant dans ce qui reste des rues.

On aura ainsi un tableau exact de la situation que l’on est venu nous demander d’améliorer pour pouvoir continuer les recherches, sous peine d’arrêt complet des travaux en cours.

L’équipe de la Santé Publique venue sur place s’attacha d’abord à rassurer les esprits et à écarter l’idée qui s’emparait de tous les milieux, y compris certains milieux médicaux, de tout danger imminent, de tous risques d’épidémies graves.

Il y a cependant quelquefois dans le Souss des cas isolés de peste bubonique, bien qu’on n’en ait point signalé depuis plusieurs années ; de même existent des cas isolés de typhus et de récurrente hispano-marocaine. Il se pouvait que l’un des cadavres enfouis devienne un foyer d’infection.

Il fut donc décidé tout d’abord de désinsectiser. Ceci ne représentait qu’une mesure d’extrême prudence, elle fut néanmoins décidée.

Par ailleurs et pour les mêmes raisons, la dératisation allait être poussée au maximum et ce problème n’était pas des moindres.

Il fallait rendre l’atmosphère respirable aux chantiers de déblaiement. Il fut alors décidé d’épandre du chlorure de chaux partout où les cadavres étaient accessibles mais ne pouvaient être dégagés ; de le mouiller, provoquant ainsi un léger dégagement de chlore gazeux qui désodorise.

Enfin, pour éviter les contacts permanents qui s’étaient établis entre la ville détruite et les camps de réfugiés, il a été décidé d’isoler la ville, à l’exception d’un axe routier vital, soumis à un contrôle sévère.

Dans la ville sinistrée, on résolut que l’eau serait coupée, et qu’il serait interdit de boire dans les nappes d’eau qui pourraient subsister.

Les travailleurs en équipes qui auraient des contacts avec les populations de l’arrière-pays seraient soigneusement douchés et désinsectisés à leur sortie des cordons sanitaires. Ils porteraient des vêtements de travail et changeraient ces vêtements après leurs douches ou leurs bains de mer.

Ces prescriptions furent immédiatement mises en vigueur et les désinfections, désinsectisations et dératisations commençaient avec des moyens puissants :

-épandage de DDT(dichlorodiphényltrichloroéthane)et de HCH(lindane) par des avions et des hélicoptères de la Défense des Végétaux ;

-épandages manuel par des équipes de la Santé Publique, de chlorure de chaux auprès des cadavres ;

-dératisation poussée, par épandages de grains et farines empoisonnées.

Parallèlement, des équipes de travailleurs destinées à la ville sinistrée étaient installées dans un camp spécial près de la plage, dotées de combinaisons de travail et de gants, ravitaillées en eau par des camions citernes en provenance d’Inezgane, dont l’adduction d’eau était surveillée par des analyses bactériologiques.

Les déblaiements étaient repris par ces équipes avec les moyens les plus puissants, permettant ainsi le maximum d’efficacité avec le minimum de travailleurs.

Quarante huit heures après la mise en œuvre de ces mesures, les travaux pouvaient reprendre normalement dans la ville sinistrée. Les odeurs pestilentielles avaient disparu, de même que les insectes, mouches, moustiques et puces : les risques de contamination de l’eau étaient écartés ; les rats moins nombreux.

OPERATION SAUVETAGE DES SURVIVANTS

Ces normes de travail ont permis, dans un calme relatif, de repérer et de sauver les quelques survivants qui, enfouis dans des conditions tout à fait spéciales, avaient pu survivre et se manifestaient de la manière qui va être décrite.

Les possibilités de survie de l’être humain sont on le sait, très grandes. L’exemple en est donné par certains accidents ou explosions minières, où des travailleurs enfouis pendant plusieurs semaines, ont pu être ramenés vivants à la surface. Bien que la catastrophe d’Agadir soit d’une autre nature, des êtres vivants ont pu être sauvés, plus de deux semaines après leur enfouissement.

La caractéristique de ces sauvetage est que :

-tous les êtres qui avaient survécu étaient enfermés dans des « caisses » ménagées par des poutres, des portes, ou des dalles qui avaient plié sans se briser et ménagé avec le sol un espace suffisant pour contenir un être vivant ;

-le sinistré ne présentait aucune blessure, même la plus légère, qui ménageât une voie d’accès à l’infection ;

-le sinistré disposait d’un moyen quelconque d’être entendu de l’extérieur.

Ces conditions qui ont été réalisées sans exception pour tous les survivants sauvés dans les deux semaines après la catastrophe, impliquent :

-que les constructions détruites étaient d’un certain type et pouvaient ménager les « caisses «   décrites ci-dessus ;

-Qu’il y ait un silence total dans la ville, afin que les signaux sonores des survivants puisent être entendus.

C’est ainsi que fut mise au point l’opération de sauvetage des survivants qui se prolongea jusqu’au 18 mars.

Les moyens de la prospection ont été :

-Repérage par des militaires biens encadrés, chargés de provoquer les appels éventuels et de recueillir ces appels (signaux sonores, utilisation d’écouteurs de D.C.A. repérage par chien etc)

-pour ces prospecteurs, facilité d’accès au plus près des endroits qui, par les caractéristiques apparentes des bâtiments effondrés, paraissaient susceptibles de réserver dans leur sein des « caisses » contenant des êtres vivants.

Ces travaux ont été exécutés en tenant compte de la sécurité des personnels toute considération concernant la conservation des meubles ou immeubles passant au second plan.

Le personnel de ces équipes se trouvait soumis aux mesures d’isolement prévues pour l’opération « assainissement de la ville morte ».

COMMANDOS D’INTERVENTION

Parallèlement, ont été mis en place les « commandos d’intervention ».

Ces équipes étaient composées d’éléments des pompiers, du Génie et des Travaux Publics, et placés sous l’autorité de ces derniers.

Maintenues en état d’alertes de jour et de nuit, elles étaient prêtes à intervenir rapidement en cas d’appel des équipes de prospection.

Des éléments de la santé publique leur étaient adjoints assistant aux opérations de sauvetage et donnant les premiers soins aux rescapés.

ORGANISATION DES CAMPS DE REFUGIES

Trois camps de réfugiés avaient été organisés sous tente pour 15 000 personnes environ.

L’organisation, l’hébergement et le ravitaillement était assurés par l’Armée Royale.

Le Ministère de la Santé publique est intervenu pour doter chaque camp d’un dispensaire sous tente, avec médecins, assistantes sociales et infirmiers.

Toutes les populations réfugiées ont reçu une vaccination antivariolique et, pour une grande partie, une vaccination anti typhoïdique et une vaccination anti tétanique.

Des centres de protection maternelle et infantile et de puéricultures ont été confiés au Ministère de la Santé Publique.

Grâce à ces mesures, aucune maladie épidémique ne s’est déclarée dans les camps et l’état sanitaire a été absolument satisfaisant. Les malades chirurgicaux et médicaux et de nombreux accouchements étaient évacués sur les hôpitaux de Tiznit et Taroudant dont la capacité hospitalière avait été augmentée pour relayer l’hôpital d’Agadir détruit.

Il convient de signaler l’aide considérable apportée à l’édification de deux hôpitaux provisoires sous tente : l’un cadeau du Service de Santé Militaire allemand, l’autre du service de Santé militaire Italien. Ces deux unités mobiles parfaitement équipées, d’une capacité hospitalière de 100 lits dotés de tout le matériel chirurgical souhaitable, et du personnel tant médical que para médical ont été emmenées dans les premiers jours de la catastrophe par avion et ont rendu tous les services que l’on imagine.

EN CONCLUSION

Il convient de signaler que cet ensemble de mesures sanitaires a constitué l’un des aspects les plus controversés de la catastrophe d’Agadir. La suite des évènements a montré l’efficacité des méthodes employées, puisqu’au regard d’une catastrophe sans précédent dans l’histoire du Maroc aucune maladie épidémique ou transmissible n’a été signalée dans la région ou dans les camps de réfugiés.

Par ailleurs, les chantiers de déblaiements qui ont continué de fonctionner et continuent encore dans les zones où on a trouvé depuis plusieurs milliers de cadavres, ont pu travailler sans aucune nuisance. Les évènements ont donné également raison au Service se Santé Publique puisque quelques jours après la catastrophe le Ministère de la Santé Publique ayant demandé la mission au Maroc du Dr Mackenzie, expert de l’OMS, spécialiste de Santé Publique, pour donner son avis sur toutes les mesures proposées, ce médecin qui avait été chargé de l’organisation de la Défense civile à Londres pendant la dernière guerre a approuvé entièrement et sans réserves l’ensemble des mesures proposées.

Enfin, on ne saurait terminer ce bref exposé sur l’action sanitaire menée à Agadir aussitôt après le séisme, sans souligner le dévouement exemplaire et même l’héroïsme de certains groupes de sauveteurs et des membres des équipes médicales qui se sont dépensées au maximum pour préserver le plus grand nombre possibles de vie humaines.


Enfin pour compléter cet exposé, je vous livre ci-après un article écrit par les docteurs Vialard et Maurice du Service de Santé de la Marine Française.


LE SERVICE DE SANTE DE LA MARINE A AGADIR

(36 PREMIERES HEURES APRES LE SEISME)

Le rôle joué par les équipes médicales de premier secours au cours des premières heures qui suivent une catastrophe avec blessés graves et nombreux, étant essentiel, il nous a paru intéressant de rapporter ce qui a été fait immédiatement après le séisme survenu à Agadir le 29 février 1960.

Les circonstances ont fait que ce rôle a été dévolu pour la plus grande partie aux médecins de la Marine Française, au premier chef ceux qui était sur place, médecins de la Base Aéronavale et secondairement à l’équipe venue de Casablanca huit heures après le tremblement de terre.

L’aide apportée par les médecins praticiens d’Agadir ne doit pas non plus être oubliée.

L’un d’entre nous arrivait à la base à 0h-30 (soit 45mn après le début) et il trouvait déjà au travail un médecin de la Base et le dentiste auxiliaire. Les blessés arrivaient à une cadence effrayante et les soins donnés à ce moment à l’infirmerie, dont il est impossible de faire un compte exact, furent ceux dits d’extrême urgence : arrêter les hémorragies, calmer les douleurs (morphine), essai de déchoquage par perfusion de plasma, de soluté physiologique, tonicardiaques ; du coté chirurgical, parage des plaies, désinfection, suture des scalps, voire amputation, immobilisation par attelles ou gouttières des membres fracturés. Les blessés étaient dirigés vers les locaux de l’infirmerie qui s’avérèrent rapidement trop exigus malgré le dédoublement des lits, des alvéoles et l’installation du maximum de lits dans le poste des exempts. A la fin de la nuit, les blessés s’étendaient dans les couloirs, la cour intérieure et jusque sous les arbres, devant l’infirmerie. Très tôt dans la nuit, des contacts furent pris avec le commandement pour prévoir l’évacuation totale des blessés graves. De plus, malgré le déblocage du stock de médicaments et du matériel de l’antenne chirurgicale, l’équipe au travail depuis minuit, commençait à manquer du nécessaire.

La Direction du Service de Santé la Marine au Maroc, alerté vers 3 h du matin, prenait toutes les dispositions pour envoyer de Casablanca et des autres BAN du personnel et du matériel. De Casablanca, un Bloch amenait à Agadir un médecin principal anesthésiologiste réanimateur, deux médecins de 1er classe et un médecin de 2eme classe et deux médecins aspirants dont un chirurgien. Les stocks du magasin de la pharmacie centrale permirent de remplir l’avion avec du plasma, du Dextram, du sérum antitétanique, de la morphine, et du matériel chirurgical varié (coton, bandes, compresses, appareils divers de contention des fractures, etc.)

Ce personnel et ce matériel furent sur place vers huit heures le 1er mars. Dans la matinée, un envoi important du service de Santé de l’Armée de l’air et de la Croix Rouge vint faire la soudure avec ce qui arriva vers 13Heures de provenance américaine – dont le Dextram qui fut particulièrement précieux.

Cette équipe permit à l’un de nous de se consacrer uniquement au dispatching. Tous les avions de la 56/S furent utilisés, les blessés Européens furent dirigés sur Marrakech, et les Marocains sur Taroudant. On dirigeait les blessés très graves (Européens et Marocains) sur Casablanca. Ce triage se faisait dans un hangar ou fut installé un petit poste de secours pour poursuivre les traitements commencés à l’infirmerie.

En effet, malgré la rapidité de l’évacuation, l’infirmerie et ses abords restaient complètement pleins de nouveaux arrivants qu’amenaient toute sorte de véhicules, ambulances, camion, voitures particulières.

Au milieu de cette marée de blessés, certains calmes –trop- d’autres agités, geignant, ou hurlant, nous opérons un triage très grossier, faisant entrer dans les locaux de l’infirmerie, pourtant déjà bien encombrés, ceux qui nous semblent les plus choqués. Pour aller vite, le test que l’on choisit est l’absence ou la présence de pouls radial. Il n’est pas question de prendre la tension artérielle de tous. Un fait frappe : ce ne sont pas les plus blessés en apparence qui paraissent les plus choqués. Quoi qu’il en soit, nous distinguons en gros trois catégories :

  1. ceux qui présentent une blessure évidente (membre, face, thorax) ou une fracture non moins évidente.

  2. les traumatisés du crâne. Ils sont dans un coma plus ou moins profond avec des plaies superficielles ou des embarrures, ils ont généralement un pouls perceptible.

  3. la troisième catégorie comprend ceux qui présentent le syndrome de « crush injury » décrit par Bywater. Nous avons posé le diagnostic en nous rapportant à nos lectures car aucun d’entre nous n’avait eu précédemment l’occasion de voir ce genre de blessés. Le tableau clinique se caractérisait par :

  1. une absence de lésions externes importantes (les téguments étaient bien souvent couverts de gravats et de poussière)

  2. une conservation de l’idéation (ils racontent ce qui leur est arrivé, comment ils ont été sauvés)

  3. une pâleur cireuse

  4. des téguments froids souvent humides de sueur

  5. ni pouls radial, ni tension artérielle prenable.

Dans cette catégorie, il en est qui signalent une impossibilité malgré l’absence de douleurs de soulever soit une main, soit un pied, soit un membre entier. La main retombe en position de paralysie radiale.

Le pronostic grave de syndrome de Bywater nous étant connu, nous décidons d’essayer de minimiser les suites rénales en perfusant largement des liquides. Après plusieurs tentatives longues et infructueuses de ponctions des veines collabées au pli du coude, de ponction sous-clavière impossible à cause de longueur insuffisante de nos aiguilles, on entreprend une dénudation systématique de la saphène interne à la cheville. Celle-ci s’est avérée rapide, facile et immédiatement efficace. Désinfection de la peau à la teinture d’iode, pas d’anesthésie, courte incision et mise en place d’une grosse aiguille (celle qui normalement fournie avec la trousse de plasma sec et que l’on pique dans le bouchon du flacon de plasma). Le premier liquide perfusé a été du plasma. Mais :

1-long à dissoudre

2-risque de souillures dans la manipulation

Aussi fut-il décider d’utiliser seulement du Dextram et du soluté glucosé à 5% que nous avions en quantité. Ce soluté glucosé à 5% n’étant manifestement pas assez chargé en glucose, on augmente celui-ci par injection de trois ampoules de 20cc de glucose hypertonique à 30%, ce qui fait 43 gr de glucose par flacon de 500gr perfusé.

Entre 8 heures et 24 heures, environ 120 flacons (glucosé et Dextram) ont été perfusés, certains des blessés en ayant reçu trois, la plus part un seul. Bien d’autres victimes auraient été justiciables de perfusion mais l’évacuation était bien organisée et si rapide que le temps nous a manqué.

Deux anesthésies sont, dans l’après midi, demandées par le chirurgien pour amputation. Nous les pratiquons avec une solution très diluée de Nesdonal avec oxygénation abondante. Dans les deux cas on pratique une transfusion de sang ORh+. L’un des blessés (désarticulation de l’épaule par broiement complet du membre supérieur) devait décéder dans l’avion qui le menait à Casablanca, bien que l’intervention ait été vite menée et que la réanimation ait semblé réussir.

Dans la nuit du 1er au 2 mars, le nombre de blessés arrivant a décru, mais ceux qui étaient amenés à l’infirmerie de la Base étaient très choqués. Pour eux aussi il fut entrepris des réanimations.

Pendant toute la journée du 1er mars, le départ des victimes par avion se passa dans des conditions très satisfaisantes, très rapidement, peut-être trop : en effet, nous ne pensons pas qu’il soit souhaitable d’évacuer par avion des blessés en cours de réanimation. Il faut ou bien ne rien entreprendre (sauf calmer les douleurs), ou bien attendre que le blessé soit en condition pour voyager. Il va de soit que le 1er mars, bousculés par l’afflux, ignorant où allaient ces gens, nous avons jugé plus médical de faire quelque chose chaque fois que cela a été possible. Nous sommes persuadés, ce faisant, d’avoir fait œuvre utile, sans pouvoir d’ailleurs le vérifier par la suite sur tel ou tel de nos blessés.

Jusqu’au 2 mars, la Base, aidée par d’autres services de la Marine au Maroc et par l’Armée de l’Air est seule à faire face aux tâches énormes crées par le séisme. A partir du 2 mars, les secours affluent. Le 2 mars à l’aube, l’escadre française est mouillée dans la rade d’Agadir. Un poste de secours est installé près des bâtiments des Travaux publics : il traite les blessés, trie et dirige sur l’infirmerie les blessés les plus graves. Des équipes médicales volantes sont constituées pour opérer directement dans les ruines. Elles relèvent les équipes locales.

Puis les secours des nations étrangères affluent en énormes quantités et nous sommes obligés d’orienter toutes les bonnes volontés sans pouvoir parfois y réussir d’ailleurs. Tout ces secours ont été fort utiles, mais combien plus ils l’auraient été 48 heures plus tôt. Ceci pose évidement la question d’une force de sauvetage pour cataclysmes, toujours prête à intervenir, à l’échelon de l’OMS par exemple.

En effet, pendant les 36 premières heures, les marins de la Base ont été pratiquement les seuls à faire du déblaiement et du sauvetage. Le personnel du service de Santé des Armées seul ou presque a subi le choc. Ce qui pouvait être fait a été fait mais c’était insuffisant, angoissant pour ceux qui pensent que la réanimation est un acte médical difficile et pourtant si efficace quand il est bien fait.


Voici donc, à la lumière de ces témoignages, un éclairage supplémentaire sur le tremblement de terre d’Agadir, le 29 février 1960.

L’actualité tragique du séisme d’Haïti ne fait que renforcer la pertinence des actions entreprises par les autorités marocaines qui auraient, nous en sommes convaincus, leur expérience à apporter aux Haïtiens.


Olivier Farrié

Nîmes le 23 janvier 2010.

© Olivier Farrié