Agadir, CĂ´te d'Azur marocaine

Vos souvenirs et anecdotes sur la vie Ă  Agadir avant le tremblement de terre.

Modérateur : Raspoutine

RĂ©pondre
Admin57
Messages : 228
Enregistré le : 28 mars 2005, 14:32

Agadir, CĂ´te d'Azur marocaine

Message par Admin57 »

Souvenirs transmis par Didier Vidal (lire son témoignage sur le tremblement de terre).



Juin 1955, après les quelques jours d’attente, nous prîmes le paquebot Lyautey de la compagnie Paquet, pour rejoindre le Maroc et mon affectation à Agadir.

Nous débarquâmes à Casablanca sous un soleil radieux et chaud. Mais il nous fallut attendre jusqu’au soir à la gare routière un autocar de la “ Grey Hound “ pour nous emmener jusqu’à Agadir.

Le trajet s’effectuait généralement de nuit pour éviter les grosses chaleurs qui transformaient les véhicules en étuve. La climatisation n’existait pas encore ici. Nous traversâmes Mazagan, Safi, Mogador, aujourd’hui Essaouira, sans avoir le temps de visiter et de toutes façons , il faisait nuit, mais seulement avec de brefs arrêts pour se dégourdir un peu les jambes.

De jeunes marocains attendaient à chaque étape sur le parking pour nous vendre soit un sandwich de saucisson soit des fruits ou une bouteille de « Fanta », genre de soda fruité à l’orange.

Au petit jour, les premiers rayons du soleil allongeaient les ombres des arbres, des rochers, des maisons, l’ocre des ksours en pisé se confondant avec le sol de cette terre aride du sud. Nous touchions au terminus, mais cette arrivée par la route côtière après le cap Ghir me fit chaud au cœur en me rappelant un premier séjour quatre ans auparavant. En attendant de dénicher un appartement, nous nous installâmes, pour quelques jours, à l’hôtel du Sous, un établissement ancien mais propre situé au Talbordj, le quartier arabe. Il donnait sur une esplanade où se tenait chaque matin le souk aux fruits et légumes.

J’adorais ce pittoresque mélange de couleurs et d’odeurs d’épices. D’autres effluves montaient jusqu’aux fenêtres de notre chambre, celles des animaux, dromadaires, bourricots, poules, moutons, ainsi que le brouhaha des voix gutturales des marchands vantant leurs produits et se mélangeant aux cris des bêtes. Tout un grouillement de vie installée à même le sol de terre battue où s’étalaient ça et là des flaques de boue et des crottins d’âne disparaissant à moitié sous une multitude de mouches. Mon grand bonheur était de me promener dans ce marché bigarré et me fondre dans la foule disparate dont les hommes, portant le poignard, inquiétaient fort Michelle qui ne connaissait pas encore les us et coutumes du pays.

Les chambres de l’hôtel, du plus pur style mauresque, entouraient un patio carrelé de mosaïque, plongé en permanence dans une demi pénombre donnant de la fraîcheur à l’ensemble. On y accédait par un couloir circulaire en surplomb. La patronne, une vieille parisienne des faubourgs, nous prit en sympathie et parfois, nous confectionnait sa spécialité, un calamar farci délicieux, qui avait l’avantage également de rompre la monotonie des casse-croûtes à la « vache qui rit » ou des restaurants bon marché, ma solde ne permettant pas un trois étoiles tous les jours.

Agadir, dont le nom signifie forteresse, en berbère, n’était autre qu’un petit paradis. A cause de sa situation privilégiée, elle fut au cours des siècles très convoitée par différentes populations, dont les Portugais, les Arabes et plus tard, les Allemands qui avaient des vues sur la région du Sous.

Cette plaine qui s’étend à partir d’Inezgane jusqu’au pied de l’Atlas en suivant le cours de l’oued qui lui a donné son nom, est une des terres les plus fertile du pays. Un vrai jardin d’Eden, j’allais dire d’Allah. Agadir, Côte d’Azur du Maroc, étale ses jardins maraîchers où poussent tous les légumes, les orangers, le blé et même des bananiers.

La ville d’origine fut la « kasbah », que Moulay Mohamed el Harrane fit construire en 1540 pour chasser les Portugais occupant la place à cette époque. Entourée de hauts murs pour se protéger du retour des portugais et autres envahisseurs, on y engrangeait les réserves de grains, la précieuse huile d’argane, des épices, des fruits secs, amandes de Tafraout, dattes, etc… Elle abritait aussi jusqu’à la catastrophe du 29 février 60, des artisans, bijoutiers, savetiers, menuisiers, dont les échoppes s’encastraient à l’intérieur des murs de plusieurs mètres d’épaisseur des remparts d’enceinte.

Peu à peu, avec moins d’agression extérieure, les maisons s’étalèrent au pied de la colline vers le quartier de Founti et de la mer où un port fut construit pour abriter les barques des pêcheurs de « tassergals », sorte de morue des côtes africaines. La Kasbah offrait une promenade magnifique autour des remparts car de là haut, la vue porte très loin au-delà de la ville et du port, jusqu’à la plaine du Sous et des montagnes de l’Atlas. Un café maure installé en surplomb permettait de déguster de succulentes pâtisseries marocaines, gâteaux au miel ou cornes de gazelles, accompagnées d’un délicieux thé à la menthe bien fumant. René Caillé, voyageur explorateur, y séjourna en 1829 lors de son périple africain.

Après Founti, un nouveau quartier arabe, le Talbordj, sortit du sol sur la colline dominant la mer, à l’est de l’oued Tildi. Quelques européens y vivaient aussi, mélangés aux autochtones. Les Français y construisirent l’hôpital durant le protectorat. Avec la mise en valeur du territoire, de l’implantation de l’armée, de l’aéroport, de la douceur du climat, du port de pêche et en corollaire des sardineries, la ville se développa rapidement durant la période d’après guerre, pour atteindre 30 000 habitants au moment du séisme. Arabes, juifs, berbères, européens, y vivaient en parfaite harmonie. Une ville heureuse ne connaît pas le racisme, ni la xénophobie, ni la haine. Les évènements de l’indépendance nous le prouvèrent.

La ville européenne construite de petits immeubles et de villas style californien s’installa, elle, plus au sud, bordant le front de mer et la plage immense de sable fin. De larges avenues la traversaient, sans feux ni stop, les automobiles y étant encore peu nombreuses. Les constructions, s’éparpillaient ça et là, séparées par des terrains vagues, sauf sur l’avenue Lucien Saint, qui traversait la ville de part en part, du nord au sud. Les quelques commerces n’offraient pas un grand moment de lèche vitrines et nos pas nous conduisaient plus volontiers vers le Talbordj où des boutiques de toutes sortes étalant leurs produits à l’extérieur, animaient les rues étroites. Des odeurs de friture, de cuir, de tissus et d’épices, chatouillaient agréablement nos narines. C’est là que j’allais choisir les babouches en cuir de chameau, pardon, de dromadaire, que je portais à la maison et que j’ai pris l’habitude de porter, même aujourd’hui, tant que j’ai la possibilité de me réapprovisionner au Maroc ou au magasin de la grande mosquée de Paris.

Les jours s’écoulaient paisibles, partagés les week-end entre la plage, les excursions dans le bled à la cascade d’Immouzer ou à Tafraout, assister à des danses berbères, ou dans le grand sud vers Tiznit. La radio n’apportait pas de grandes distractions le soir, car les ondes perturbées et crachoteuses des stations françaises avaient vite fait de nous lasser. Pour avoir un peu de bonne musique, j’avais acheté un petit tourne disque électrique que je branchais sur le poste radio portable.

Peu après notre arrivée, en 1955, des troubles politiques vinrent quelque peu perturber cette douceur de vivre. Comme dans tous les pays du Maghreb, la population bougeait pour obtenir son indépendance. Le Maroc, protectorat sous tutelle française, désirait son autonomie totale. Quelques manifestations de rue eurent lieu à Casablanca surtout, à Rabat et dans quelques villes du Nord, mais Agadir restait calme et aucune agressivité ne vint changer le comportement de la population envers nous. Seuls, les tours de garde plus fréquents à la base, modifiaient nos habitudes, d’autant plus qu’une naissance vint mettre de l’animation dans notre vie. Pour revenir un peu en arrière, après les quelques jours passés à l’hôtel du Sous, nous emménageâmes Immeuble Lali, dans un petit studio confortable avec salle de bain, petite cuisinette et séjour donnant du troisième étage sur la place du marché en plein centre ville.

Nous y vécûmes jusqu’à l’annonce d’une naissance et, pensant que l’espace un peu trop réduit pour y ajouter un berceau fut insuffisant, nous nous mîmes en quête d’un appartement plus vaste. C’est un autre studio mais avec une grande pièce et alcôve qui nous accueilli, immeuble Barrault à la sortie de la ville. ( Les immeubles étant peu nombreux, les adresses étaient formulées ainsi : Immeuble Lali, Agadir, et c’était tout). C’est là que Cathou fit son entrée dans le monde, toute nue comme la vérité sortant du puits. Toute nue, parce que nous attendions un colis de vêtements de sa grand-mère qui n’est pas arrivé à temps. Heureusement, le climat ne demandait pas de porter de doudoune !

Nous vécûmes là encore une petite année, lorsqu’une nouvelle future naissance nous obligea une fois de plus à chercher plus grand. Cette fois, nous nous offrîmes une petite villa perchée sur les hauteurs, avec deux vraies chambres, un séjour avec cheminée ( ma foi très agréable en hiver ), une cuisine, salle de bain et, grand bonheur, un jardin. Petit Robin vint rejoindre sa sœur le 4 août 57 aux Foyers Gadiris, ainsi se nommait l’ensemble de petites villas jumelles dont la nôtre faisait partie. Un peu plus de deux années passèrent encore entre plage, pèche, réceptions et douceur de vivre jusqu’à ce qu’un évènement majeur, un séisme de grande ampleur, vienne détruire ce paradis et le transformer en cauchemar.

Avec mes amitiés

Didier VIDAL

Raspoutine
Messages : 1612
Enregistré le : 25 sept. 2006, 13:07
Localisation : AGADIR MAROC

Re: Agadir, CĂ´te d'Azur marocaine

Message par Raspoutine »

Image

Bonjour Didier
Beau récit bien détaillé de la découverte et l'exploration de notre côte d'Azur dans les années 50.
Je tiens à te faire cadeau de cette image de l'hôtel du Souss où tu as pris pieds toi et ton épouse à quelques mètres du fameux souk bien décrit.
Tu te souviendras de la disposition des chambres, du patio,de la toute minuscule "jardinette" sur le bord et surtout ces magnifiques carrelages Espano-Arabique. Cette photo m'a été remise par la fille du patron de cet hôtel dans les années 50 (Gambier). Il était un colosse catcheur qui faisait des combats très prisés dans l'immeuble de Barutel dit la SATAS.
Cet hôtel du Souss a tenu au séisme, mais on l'a rasé tout simplement comme toute Talborjt, tant pis pour nos mémoires à perpétuer pour les futures générations qui posent aujourd'hui cette question : Comment était Agadir avant le séisme du 29 février 1960 ?

SOUVENIR...SOUVENIR DISAIT UN CHANTEUR.
lahsen

RĂ©pondre