Agadir: tremblement de terre du 29 février 1960

Le témoignage de Patrick Fillipone

Les derniers événements survenus sur notre planète comme le tsunami en Indonésie et plus récemment le tremblement de terre en Afghanistan m’ont poussé à décrire moi aussi cet événement terrible que fût le tremblement de terre d'Agadir dont je suis un des rescapés et dont le souvenir et à jamais inscrit dans ma mémoire d'enfant puis d'adolescent et enfin d’adulte.


J’avais 9 ans et j’habitais le quartier de Talbordj au début de la rue Illalla dans une petite maison de ville mitoyenne au 1er étage et j’allais à l’école Bosc ou madame Lormier était mon institutrice au CM 1 . J’étais heureux et je vivais avec papa et maman et ma petite sœur Hélène qui avait 4 ans et mon frère Gérard mon aîné de 7 ans. Mon grand père Gaétano Filippone avait son garage de vente de pièces automobiles sur la place du commerce en face de la librairie de madame Ré et il habitait non loin de son garage ou mon père exerçait le métier de moniteur d’auto école , c’est lui qui a appris à conduire à la plupart des gens d’agadir car il était le seul.


Tout allait pour le mieux jusqu’à la veille du séisme ou nous eûmes droit à l’heure de midi à la première secousse qui fit trembler toute la maison comme si un train de marchandises passait dans la rue et nous avons vu les objets se déplacer pendant quelques secondes ne comprenant pas ce qui se passait nous sommes retourné à l’école l’après- midi ou tout le monde commentait ce qui s’était passé puis nous sommes rentrés comme d’habitude à la maison ou après avoir goûté, fait ses devoirs, dîné, je me suis couché pour vivre ma dernière soirée dans la ville ou j’étais né et ou j’avais passé le début de mon enfance…


A minuit environ alors que je dormais profondément , je me suis réveillé peut-être à cause du bruit ou bien du tremblement de terre qui venait de détruire notre ville, je me lève et à tâtons et dans un demi sommeil j’essaie de rejoindre la chambre de mes parents mitoyenne et séparée par une double porte de communication en bois.
Au moment ou je tire la poignée de la porte, un pan me tombe dessus et bien que surpris je le prend et le dépose sur le côté puis je rentre dans la chambre de mes parents et la mon cauchemar va commencer je suis dans un autre monde rempli de poussières , de gravats , de blocs de pierre qui me font trébucher, je tousse et ne peux plus respirer. Les cris résonnent de partout , des choses brûlent et je commence à paniquer et à appeler mes parents mais le son ne sort pas du fond de ma gorge.
Tout d’un coup je vois une lueur qui approche dans ce brouillard et une ombre se dirige vers moi, c’est peut être mes parents et la fin du cauchemar, et bien non l’homme qui tient la torche passe à côté de moi sans me voir et en me bousculant continue son chemin, je ne comprends plus rien et je commence à pleurer immobile incapable de faire le moindre pas.


Mais où suis-je, en fait je suis dans la rue car la façade de mon immeuble a été littéralement découpée et le tout s’est effondré dans la rue, je suis passé de ma chambre directement dans la rue en tombant du premier étage au milieu des gravats et des morceaux de ferraille qui s’enchevêtrent et dépassent des pierres comme autant de pieux dressés et c’est le lendemain que nous nous sommes rendus compte du miracle en regardant l’endroit ou j’étais tombé et sans une seule égratignure !
Pendant que j’appelais mes parents et que je criai mon désespoir d’être seul dans le bruit, le feu , la fumée, les cris et les personnes qui courent dans tous les sens, mes parents eux surpris par le tremblement de terre sont dans leur chambre, papa dort, maman lit et ma petite sœur dort à côté d’eux dans son petit lit. La lumière commence à vaciller et s’éteint , maman se dresse hors du lit et reçoit plusieurs blocs de pierre du toit sur elle et un sur la tête, elle s’effondre sur le lit, les pierres tombent de tous les côtés et papa se penche au dessus du lit de ma petite sœur qui commençait à être ensevelie. Son dos n’est plus qu’une plaie qui deviendra noire par la suite. Il arrache ma sœur de son berceau et d’une main récupère maman qui est moitié évanouie dans ses bras et se dirige vers la porte d’entrée qu’il défonce d’un coup d’épaule et commence à descendre les escaliers pour aller dans la rue. Il dépose sur la place devant le marché, ma sœur et maman qui a repris ces esprits et qui hurle à mon père d’aller me chercher et c’est là que je crie et j’entends mon père qui me cherche en hurlant mon nom. Je me retrouve dans ces bras et j’arrive sur la place ou maman me prend dans ses bras en criant, j’ai peur en la voyant car son visage est en sang et ses beaux cheveux blancs sont rouges et collés, rouge aussi sa chemise de nuit blanche.
Nous sommes là hagards, debout , vivants au milieu de la nuit et des cris qui fusent de tous côtés. Le froid commence à se faire sentir et nous sommes moitiés dévêtus, blottis les uns contre les autres.


Papa force la porte d’une automobile qui se trouve sur la place et nous nous entassons à quatre dans ce petit véhicule. Maman se met tout d’un coup à hurler car elle s’aperçoit que mon frère Gérard n’est pas avec nous et elle sanglotte et l’appelle, papa essaie de la rassurer car il était allé ce soir là voir avec des copains un film en ville nouvelle : Bagarre au king créole avec Elvis Presley.


L’attente et interminable et soudain dans les phares d’une voiture qui passe nous voyons mon frère qui court dans la nuit pour nous retrouver. Nous sortons et nous nous embrassons en nous serrant fort comme si nous ne voulions ne faire plus qu’un. A ce moment personne ne pouvait nous séparer.


Nous sommes rattrapés par le cauchemar lorsqu’une dame attrape maman par les cheveux en criant, elle a perdu toute sa famille , ses parents, ses enfants, elle est devenu folle et prononce des mots incohérents puis elle lâche maman et s’en va dans la nuit .Nous retournons dans notre petit abri ou nous allons attendre le petit matin pour être propulsé dans l’horreur avec les premières lueurs du jour qui se lève.


Papa et mon frère décident de partir à pied dans les décombres pour aider mon grand père dont nous sommes sans nouvelles. L’attente est interminable, le quartier ou habitait mon grand père a été complètement détruit, rasé, il ne reste plus rien, les maisons se sont écroulées les unes sur les autres comme un jeu de cartes. Mon grand père ne sera jamais retrouvé malgré les recherches entreprises ensuite, il repose sur cette terre que nous avons aimé, parmi les juifs, les musulmans et les chrétiens ,tous à jamais réunis dans la mort soudaine qui nous a surpris ce 29 Février 1960 .
Papa en revenant s’est arrêté au garage ou nos deux véhicules ont été écrasés par l’immeuble voisin qui s’est écroulé et décide "d’emprunter" la voiture d’un inspecteur de police récemment retraité qui était resté à Agadir et qui avait perdu la vie.


Et c’est dans un chaos indescriptible que nous avons quitté Agadir pour Louis Gentil ou nous avions de la famille. Ces derniers apprenant la catastrophe ont pris leur voiture et ont voyagé toute la nuit pour nous retrouver, ils nous ont croisé sur la route au petit matin croyant reconnaître papa au volant mais pas la voiture. Nous n’avions plus rien , nous avions tout perdu. Notre famille nous a cherché pendant deux jours , découvrant les cadavres qui étaient déposés à la base aéronautique pour tenter de nous reconnaître puisque nous avions disparus !
Nous avons retrouvé notre famille qui nous aidé à repartir dans une nouvelle vie , c’était il y a 45 ans !


Ma petite sœur n’a plus parlé pendant de longs mois, maman a eu pendant de nombreuses années des séquelles traumatiques à l’un de ses bras à la suite de son choc à la tête, papa s’est lentement remis de son dos, mon frère et moi n’avons rien eu, Tous avons été comme des milliers de personnes les survivants d’une terrible catastrophe que nous revivons à chaque fois que nous voyons à la télé de nouvelles tragédies.

Patrick Fillipone